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3 questions à...
Transition écologique
Urbanisme et logement

Emeline Bailly : « Il est temps de repenser l’écologie territoriale »

15/06/2022

Emeline Bailly, docteure en urbanisme, chercheuse au Centre scientifique et technique du bâtiment, a accordé un entretien à France urbaine HEBDO.

Dans une récente tribune parue dans Libération, vous appelez les acteurs urbains à accélérer la renaturation des villes. Quelles sont selon vous les pistes intéressantes sur lesquelles s’appuyer ?
 
Emeline Bailly : L’enjeu majeur est de récréer une alliance entre la ville et la nature pour faire face aux changements globaux à l’oeuvre. Il me semble que nous devons penser les principes d’une ville en prise avec son écologie et sa vie sensible. La ville demande à être réinscrite d’abord dans son écologie territoriale, c’est-à-dire, dans ses liens avec son site naturel (ses reliefs, ses sols, sa biodiversité, ses paysages… et ses cycles d’évolution), et ensuite avec les qualités sensibles pour ceux qui y vivent, c’est-à-dire sensorielles, expérientielles, imaginaires pris dans des dynamiques socio-culturelles selon les héritages, représentations et projections sociétales.
Parmi les pistes à explorer pour changer le paradigme de notre manière d’habiter les territoires, la renaturation des villes est essentielle. Elle permet le déploiement d’une certaine biodiversité. Elle a des vertus pour accélérer l’adaptation au changement climatique. Elle favorise un vécu plus sensible de l’espace urbain et favorise un plus grand plaisir de vivre en ville. Si la place de la nature en ville prend de plus en plus d’importance, notamment dans les éco-quartiers qui mobilisent la nature comme une solutions pour « désimpermabiliser » les sols, rafraîchir les espaces publics, filtrer l’eau de pluie à la parcelle, pour rafraichir l’espace urbain ou pour capter du CO2, il importe de définir de véritable stratégie de renaturation à l’échelle des métropoles, qui intéresse autant les nouveaux projets d’aménagement, que la renaturation de la ville existante ou la valorisation de la nature déjà là.
 
Comment renaturer l’espace urbain est la question centrale. Désasphalter les trottoirs, retrouver des cours d’immeubles ou d’écoles en pleine terre, développer des « rues vertes » sont des actions intéressantes qu’il faut saluer. Il faut aussi tenir compte et valoriser tous les espaces naturels déjà présents en ville ! Le projet des lisières urbaines du Grand Genève ou TILT sur les abords du périphérique nantais en sont un parfait exemple.
 
En France, de nombreuses actions sont menées sur les territoires urbains mais il manque souvent une stratégie de territoire globale, qui permettrait de rendre ces actions cohérentes entre elles et plus efficace en matière de régénération de l’espace urbain face aux défis climatiques et biodiversitaires. Certaines villes européennes comme Berlin, Rome, Utrecht ou Copenhague l’ont intégré et ont des stratégies tout à fait intéressantes qui peuvent inspirer les collectivités territoriales françaises.
 

« L’enjeu majeur est de récréer l’alliance entre la ville et la nature, en développant l’idée de la ville écologique et sensible » Emeline Bailly

Vous parlez même d’un meilleur partage territorial de la vie. Qu’entendez-vous par là ?
 
E. B : Aujourd’hui, on a en partie perdu le contact avec la nature en ville. La construction des villes depuis l’industrialisation, a plutôt nié les sites naturels, qui ont été asséchés, aplanis, artificialisé. La  maîtrise de la nature a été prôné en référence aux scissions culture/nature héritées. Il est temps de réconcilier la relation entre l’Homme et la Nature car notre mode d’habiter n’est pas soutenable. En latin, « natura » signifie la force d’engendrement, ce qui donne la vie. La vie renvoie autant à la faune, la flore, qu’aux humains et à la Terre. Le partage de la vie, c’est le partage de cette conscience de la vie sur ce même territoire qu’est la Terre. Ces différentes formes de vie doivent réapprendre à coexister et à se respecter mutuellement. Nous devons retrouver cette relation au vivant qui est indispensable à notre propre vie.
 

« Les différentes formes de vie doivent réapprendre à coexister et à se respecter mutuellement. » Emeline Bailly

Vous êtes docteure en urbanisme, chercheuse au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). L’urbanisme et l’écologie urbaine sont-ils à réinventer ?
 
E. B : Nous devons en effet changer de modèle urbain, de paradigme dans la manière de fabriquer la ville. Nous devons retisser les complémentarités territoriales, qui n’oppose par les territoires urbains aux territoires ruraux et celles vivantes, qui réconcilient les différents dynamiques de vie et leurs cycles. Ce changement de paradigme est essentiel. Il est déjà amorcé même si elle reste surtout au niveau des discours. De nombreux chercheurs s’essaient à définir les nouveaux contours d’un urbanisme du ménagement. Par exemple, avec le groupe d’urbanisme écologique (GUÉ), nous prônons la nécessité de retisser les équilibres entre l’acte d’édifier, de renaturer de ménager la vie, et la qualité de vie des citadins dans ses dimensions sociales, culturelles et sensibles.