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3 questions à...
Europe et international

Lorenzo Kihlgren Grandi : « L'ONU considère désormais les villes comme de véritables actrices des relations internationales »

08/06/2022

Lorenzo Kihlgren Grandi, Directeur du City Diplomacy Lab, a accordé un entretien à France urbaine HEBDO.

Vous avez rédigé en 2020 une note pour Terra Nova intitulée « Le nouveau rôle international des villes (et pourquoi il faut l’encourager) ». Quels sont vos principaux constats ?

Lorenzo Kihlgren Grandi : La note que j'ai signée pour Terra Nova dresse le portrait d'une dynamique qui a connu une forte accélération ces dernières années : la diplomatie des villes. Né il y a un peu plus d'un siècle pour favoriser la coopération technique entre les administrations municipales, elle s'est enrichie ces dernières années d'importants volets relatifs à la solidarité, au développement durable et au partenariat pour relever les grands défis de l'humanité, qui sont à la fois mondiaux par leur nature et locaux par leur impact.
Du changement climatique à la migration, de l'extrémisme violent à la transition numérique, la diplomatie des villes s'est avérée capable de fournir de considérables moyens techniques et financiers, ainsi que de favoriser le plaidoyer international de plus en plus percutant des maires sur ces questions. Il n'est pas surprenant que l'institution chargée de la coopération internationale, les Nations unies, s'intéresse de plus en plus aux villes, qu'elle considère désormais comme de véritables actrices des relations internationales dont l'implication est indispensable pour parvenir au " multilatéralisme plus inclusif " tant souhaité.
La note met notamment l'accent sur l'exemple français. Au cours des dernières décennies, la France s'est dotée d'un des cadres les plus avancés au monde en matière de reconnaissance juridique et de soutien technique et financier de ce qu'elle désigne comme " action extérieure des collectivités territoriales ". Cependant, le fait que les villes françaises, à quelques exceptions notables près, soient dans l'ensemble relativement moins actives sur le plan international que leurs homologues italiennes, espagnoles, allemandes ou néerlandaises est donc davantage dû à un héritage culturel de centralisme qu'à de réelles limitations juridiques et matérielles.

Les conséquences que l’on tire progressivement de la crise sanitaire de Covid-19 vont-elles accélérer le phénomène et accroître le rôle des villes dans les années à venir ?

L. K-G : La pandémie a eu un double impact sur la diplomatie des villes. Tout d'abord, les phases les plus aiguës de la crise ont bloqué la quasi-totalité des nombreux projets bilatéraux et multilatéraux impliquant des missions à l'étranger. Cependant, cela a été plus que compensé par le fait que jamais auparavant la diplomatie des villes ne s'était révélée aussi efficace pour faire face à une crise, ce qui lui a permis de se renforcer considérablement. Lorsque la pandémie s'est répandue dans le monde entier, la diplomatie des villes a été rapidement activée par le biais d'un soutien financier et de dons d'équipements de protection aux villes devenues des épicentres de la contagion. Cette solidarité entre villes s'est souvent avérée indispensable pour permettre aux services municipaux de rester opérationnels. Parallèlement, plus de 60 plateformes en ligne de bonnes pratiques municipales ont rapidement vu le jour, facilitant le partage des mesures qui se sont avérées les plus efficaces pour faire face à l'impact sanitaire et socio-économique de la pandémie.

Quelles sont les marges de progrès ?  Des blocages persistent-ils ?

L. K-G : L'accélération rapide de l'activisme international des villes à l'échelle planétaire rend encore plus évident l'écart entre l'impact local de la diplomatie des villes et le rôle formellement marginal attribué aux villes dans la gouvernance régionale et mondiale. En effet, ce dernier fonctionne comme un club, dont l'accès dépend d'une invitation formelle de ses membres de plein droit actuels, c'est-à-dire les États et les organisations internationales. Alors que les dernières multiplient les programmes et les événements dédiés à la mobilisation de l'engagement sincèrement multilatéraliste, écologiste et pacifiste des maires et des communautés urbaines, on attend toujours qu'un premier gouvernement national plaide activement pour l'inclusion des villes dans les processus de définition des futures conventions-cadres qui façonneront l'avenir de l'humanité. L'histoire humaine nous montre que les institutions politiques sont très rarement disposées à partager leur pouvoir. Pourtant, dans un monde de plus en plus urbanisé où les dynamiques sociales, économiques, culturelles, environnementales et politiques transnationales exercent leurs conséquences principalement sur la dimension urbaine, permettre aux représentants légitimes de cette dernière de s'exprimer relève du bon sens.