Rachel Bocher : « La psychiatrie reste mal dotée en France »

Rachel Bocher, cheffe du service psychiatrie du CHU de Nantes, a accordé un entretien à France urbaine HEBDO.
FRANCE URBAINE : La crise sanitaire et les confinements successifs ont mis à rude épreuve la santé mentale des Français. Quelle est la situation actuelle ?
Rachel Bocher : La santé mentale est le socle du bien-être individuel mais aussi le fondement d’un bon fonctionnement collectif. C’est un état qui évolue vite en fonction de facteurs individuels mais aussi un état sensible aux événements et éléments extérieurs, comme la pandémie de Covid-19 par exemple. Selon la dernière enquête CoviPrev de Santé publique France datée de septembre 2022, qui suit l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l'épidémie de Covid-19, 27% des Français montrent des signes d’anxiété (+1 point par rapport à 2021). 18% des Français marquent un état dépressif (+3 points par rapport à 2021). 71% des Français déclarent des problèmes de sommeil, contre 47% en 2017 et 61% en 2020. Les indicateurs de la santé mentale continuent de se dégrader, que ce soit pour les problèmes de dépression, de sommeil, pour les idées suicidaires ou le niveau de satisfaction de vie. Une partie des effets est sans nul doute attribuée à la pandémie. Mais le contexte de tension internationale joue un rôle majeur, tout comme la période de forte inflation que nous vivons.
« Les indicateurs de la santé mentale continuent de se dégrader » Rachel Bocher
Comment jugez-vous la prise en compte et la perception de la santé mentale en France ?
R-B : Avoir une maladie mentale ou psychique, quelle que soit la période, n’est pas une fatalité. La clé est de demander de l’aide suffisamment tôt pour éviter que toute souffrance devienne une maladie mentale avérée. Par contre, les tabous restent très forts. Exprimer nos émotions n’est pas facile. Les êtres humains sont des « éponges à émotion ». Verbaliser ses émotions fait gagner en humanité et en efficacité.
Le problème est que notre système de santé en psychiatrie n’est pas à la hauteur. Depuis 15 ans, les rapports se succèdent et sont toujours plus alarmants. Des mesures ont été prises. Mais la psychiatrie reste mal dotée en France. Elle est au bord de l’implosion. L’impact de la crise sanitaire est réel et impacte tout le monde, aussi bien les jeunes, les seniors que les personnes précaires. La crise a révélé des fragilités psychiques méconnues et a même convoqué des ruptures affectives, voire des vulnérabilités sociales.
Cette crise doit être une opportunité pour réfléchir et dégager des pistes concrètes dans notre système de santé. Il faut coordonner l’articulation entre psychiatrie, soin et santé mentale sur une meilleure lisibilité des parcours de soin avec le médico-social dans un cadre territorial, favoriser l’accessibilité à des soins de proximité en réduisant les inégalités, valoriser la prévention et le repérage précoce et installer des moyens pérennes pour la recherche et l’innovation dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale.
Nous faisons face à un tsunami de nouveaux patients âgés de 15 à 25 ans. Il faut mettre un terme à cette idée que la jeunesse est la plus belle période de la vie. Ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, un adolescent sur quatre est en situation de souffrance psychique. Or les troubles mentaux apparaissent, pour 80% d’entre eux, avant l’âge de 25 ans. Il y a urgence.
« Nous faisons face à un tsunami de nouveaux patients âgés de 15 à 25 ans » Rachel Bocher
Les grandes villes s’engagent et innovent sur cette question depuis plusieurs années. Quelles initiatives concrètes vous semblent pertinentes ?
R-B : Les collectivités, principalement les villes, sont en première ligne et s’engagent de plus en plus. Je m’en réjouis. Leur rôle est central pour changer la représentation des maladies mentales et de la santé mentale auprès des citoyens, notamment par des campagnes de communication. Elles sont également indispensables pour réduire les inégalités de santé, par le logement, l’éducation ou la cohésion sociale. Il faut passer d’une culture de soin à une culture de prévention en détectant dès le plus jeune âge les signes avant-coureurs et en responsabilisant les acteurs. Les villes mettent en place des lieux d’accueil et d’écoute, comme les Maisons des adolescents, et agissent par des politiques d’action coordonnée et inédites, notamment avec les acteurs du soin, du sport ou de la culture. L’enjeu est aussi de garantir les droits fondamentaux des personnes soignées en psychiatrie. Les élus locaux doivent favoriser la cohésion sociale et revitaliser le dialogue citoyen sur ce sujet. J’appelle les villes à soutenir le Consensus de Copenhague, qui cherche à établir les priorités pour faire avancer le bien-être de l'humanité.
« Les collectivités, principalement les villes, sont en première ligne et s’engagent de plus en plus. Je m’en réjouis » Rachel Bocher
Crédit photo : P. Chagnon